Interview – Frédéric Molitor

Frédéric Molitor

Impossible pour Frédéric de voyager sans prendre de photos. Dès qu'il le peut, il saisit son matériel et part aux quatre coins du monde ramener des images. Son coin de prédilection : le Japon !

Quelle était ta vision du Japon avant d’y poser le pied ?

Je n’en n’avais aucune. Les pays asiatiques se ressemblaient tous à mes yeux. En France, je ne distinguais même pas un restaurant japonais d’un restaurant chinois. Mais une fois le pied posé au Japon, j’ai pu faire de nombreuses correspondances avec les jeux vidéos. Sans le savoir ni le comprendre, j’avais été exposé plus jeune à certains aspects du Japon en jouant.

Ainsi, l’ennemi en forme de Tour Eiffel rouge d’Aero Fighters 3 (1995) existait donc vraiment : c’était la Tokyo Tower. Le sumo Honda de Street Fighter II (1991) ne combattait pas dans une grande salle de bain mais un sento. Le mystérieux triangle noir et blanc que mangeait Alex Kidd (1986) à la fin de chaque stage était finalement un onigiri.

Comment t’es venu l’idée d’aller au Japon pour la première fois ?

À une époque, je rachetais pas mal de matériel de cet âge d’or des jeux vidéos. Un jour, un vendeur m’a expliqué comment il finançait ses voyages au Japon par la revente d’une partie de ses achats. Sa description des magasins d’occasion et des salles d’arcade m’a donné envie d’aller voir sur place ce qui subsistait encore de cette période vidéo-ludique qui m’avait tant fascinée.

Comme la barrière de la langue, les différences culturelles et culinaires étaient pour moi des freins, c’est en voyage organisé orienté jeux vidéo que j’ai franchi le pas. Cette solution, en plus d’être rassurante, me garantissait d’aller dans les endroits incontournables des amateurs de jeux.

Par contre, inutile d’espérer aujourd’hui rembourser son billet d’avion en revendant des vieilleries vidéo-ludiques chinées sur place. Les magasins se raréfient et les prix explosent.

Quel fut ton premier choc en arrivant sur le sol nippon ?

En tirant ma valise sur les trottoirs entre la gare de Kyoto et l’hôtel !

J’évitais les rabatteurs de magasins et de restaurants, parfois équipés de mégaphone ou transformés en homme-sandwich, j’étais fasciné par les employés à bâtons lumineux faisant la circulation des piétons devant les chantiers et les parkings, mais aussi les annonces et signaux sonores omniprésents, les enseignes lumineuses, les publicités… Comme beaucoup, j’ai immédiatement pensé au film Blade Runner de Ridley Scott.

La peur de ne rien comprendre est un des freins à la découverte du Japon. Comment rassurerais-tu les inquiets ?

Ne rien comprendre est à la fois un frein et un avantage ! Pour les plus inquiets, le voyage organisé est une solution à considérer pour une première fois. Rien n’empêche d’ailleurs de quitter le groupe une fois qu’on se sent plus à l’aise.

Pour les autres, j’ai adoré ne rien comprendre. Cela fait partie des charmes du pays. On peut projeter les significations que l’on veut sur les kanjis et se promener dans son Japon fantasmé. C’est aussi l’occasion de se retrouver seul avec soi-même.

Ensuite, les brochures en anglais voir en français des Tourist Information Center (TIC) sont très bien faites. On y trouve des plans détaillés du coin et des propositions d’itinéraires en fonction de ses goûts ou du temps imparti. On peut presque se passer des volumineux guides de voyage.

Il faut dire que depuis une dizaine d’années, le pays se donne les moyens de faire du Japon une destination touristique prisée. Les résultats sont là et dépassent même les prévisions. L’objectif de fréquentation pour 2020, année des Jeux Olympiques de Tokyo, a ainsi été revu à la hausse.

Le pays devient plus accessible mais ses particularités s’effacent. Tant qu’on ne se sort pas des circuits touristiques, ne rien comprendre est de moins en moins vrai.

Peux-tu nous raconter l’expérience la plus drôle que tu as vécue au Japon ?

Elles sont nombreuses, autant de bons souvenirs comme celui-ci :

Par un froid glacial, tournant autour de la Tokyo Skytree à la recherche des meilleurs points de vue, je fais la rencontre d’un salaryman en voyage d’affaires. On discute et il finit par me dire que ça irait mieux pour moi d’ici quelques mois. Avec mon gros manteau gris et mon sac photo ressemblant à une sacoche d’ordinateur portable, il m’avait pris pour un expatrié fraîchement débarqué.

Quelques jours plus tard et habillé de la même manière, je me promène avec deux amies japonaises. Le rabatteur d’un restaurant nous aborde. On se laisse convaincre et effectivement, la nourriture et le service sont excellents. Mais problème, pas de carte ni de prix affichés. Autour de nous, seuls des hommes en charmante compagnie. Selon mes amies, certaines étaient même des hôtesses de kyabakura. Autrement dit, des clients avec de gros moyens et moi j’étais le seul à ne pas porter de chemise ! Pour éviter une note trop salée, on a décidé de poursuivre notre soirée dans un izakaya moins cher mais… moins bon.

La présence de mes amies et mon allure plus proche du salaryman que du photographe nous ont probablement fait correspondre à la clientèle visée. Individuellement, le rabatteur n’aurait pas bougé. Ensemble, nous avons pu entrer et apprécier le temps d’un verre et quelques petits plats l’expérience d’un restaurant très haut de gamme.

Comme quoi, l’habit fait parfois le moine.

On peut le voir en illustration de la page, tu prends des photos magnifiques. Quels sont pour toi les meilleurs spots photo de l’archipel ?

Il est facile de faire de belles photos au Japon. L’exotisme donne peut-être un regard neuf sur les choses. Je ne sais pas quels sont les meilleurs spots photo mais deux d’entre eux, à défaut d’être originaux, me tiennent particulièrement à cœur.

Odaiba (Tokyo) : cette île artificielle est connue pour ses attractions et centres commerciaux. Mais à la nuit tombée, la vue offerte sur le Rainbow Bridge, la Tokyo Tower et la ligne de gratte-ciels de la capitale est tout simplement magique. Pour parfaire la carte postale, attendez que les bateaux-restaurants à lampions remplissent la baie. Les lumières rouges clignotantes aux sommets des immeubles évoqueront une nouvelle fois Blade Runner aux cinéphiles tandis que les joueurs des années 90 y verront l’introduction de Streets of Rage. D’ailleurs,  le parc d’attractions Sega Joypolis  de l’éditeur du jeu se trouve sur Odaiba.

Mont Inasa (Nagasaki) : je me suis rendu à Nagasaki dans l’unique but d’embarquer sur un bateau et mettre les pieds sur l’île de Gunkanjima (Hashima). Contre toute attente, j’ai adoré cette ville qui a bien plus à offrir que le tourisme autour du mémorial de la bombe atomique. À la fois mer et montagne, ville et campagne, Nagasaki cumule les atouts et est très agréable à vivre. De plus, l’abondante signalétique en anglais à l’intention des touristes rend l’orientation aisée. Le spot photo en question est le belvédère du Mont Inasa, accessible en téléphérique. Il offre une vue magnifique sur la ville. Comme Odaiba, ce spot photo est aussi un date spot fréquenté, surtout au coucher du soleil.

Tu es également un amoureux des parcs d’attractions. Pourrais-tu nous en conseiller quelques uns ?

Pour les amateurs de parcs de loisirs, Tokyo Disney Sea justifie à lui seul un voyage au Japon. Tokyo Disneyland et Universal Studios Japan sont également excellents. Ensuite, il existe une multitude de parcs à travers le pays. Il y en a pour tous les goûts.

Les amateurs de sensations fortes iront à Fuji-Q Higland tandis que ceux d’ambiance rétro se tourneront vers Asakusa Hanayashiki. Les amateurs de parcs fermés ne sont pas oubliés avec, entre autres, Nara Dreamland.

Les attractions sont parfois bien cachées au Japon. On peut en trouver à flan de montagne (Beppu Rakutenchi), au bout d’une ligne de télécabines (Yomiuriland), dans les hôtels (Shinagawa Prince Hotel), les sous-sols (Tokyo Dome City), les étages (Namco Namja Town) ou même sur les toits des immeubles ! Le magasin Don Quijote de Roppongi à Tokyo aurait pu en accueillir une sur son toit  qui n’a malheureusement jamais pu ouvrir sous la pression des riverains. Je conseille toutefois aux amateurs d’aller jeter un œil.

C’est sans compter sur les restaurants et bars à thèmes, parfois très originaux, ou les grandes roues très courantes au Japon. Finalement, c’est le pays tout entier qui peut-être vu comme un gigantesque parc d’attractions.

Y en a-t-il que tu déconseillerais absolument ?

Non, car j’aime tous les parcs, les bons comme les mauvais.

Quels conseils donnerais-tu pour réussir son voyage au Japon ?

Ne pas trop préparer et rester ouvert ! En quelques clics de souris, il est facile et tentant de se forger une idée précise sur à peu près n’importe quel site de la planète. D’un tourisme de découverte, nous sommes passés à un tourisme de vérification. Il ne s’agit plus de partir à la découverte, mais de vérifier in situ la conformité de la réalité à l’idée qu’on s’en était faite. Le voyage se résume alors à une liste de lieux sélectionnés par avance, devant lesquels on coche la case une fois sur place, avant de passer au suivant.

Laissez un peu de place au hasard et aux rencontres. C’est ce qui fait le sel des voyages et construit les plus beaux souvenirs. En préparant trop, vous vous priverez du plaisir de la découverte. Ne pas pouvoir s’écarter d’un programme trop rigide pourrait également être frustrant. Comme en photographie, ce sont les photos inattendues et improvisées qui sont souvent les plus réussies !

Allez, donne-nous faim. Quelles sont tes trois spécialités culinaires japonaises préférées ?

Je vais donner trois réponses mais ce ne sont pas vraiment des spécialités culinaires.

Ekiben : il peut être difficile de choisir un restaurant ou intimidant d’y entrer. On se retrouve alors par facilité à se nourrir dans les konbini et les fast-food. Certes, pratiques et pas chers, mais c’est dommage de s’y cantonner. Une solution pour goûter sans peine aux spécialités locales est d’acheter une boite repas ekiben à déguster pendant les trajets en train. Préférez celles en vente à bord. Elles sont peu nombreuses et un peu plus chères que celles des gares mais évitent les mauvais choix. Impossible de se tromper : la qualité est toujours là. L’étiquette de la boite fait aussi un souvenir original à ramener.

Izakaya : lorsqu’on ne se déplace pas en train, une autre solution est d’aller dans un izakaya. Le principe est de commander à boire, accompagné d’une multitude de petits plats à partager. Comme la carte (avec photos) est pléthorique, c’est l’occasion de goûter un peu à tout. La difficulté est d’en trouver un. Il faut parfois entrer dans un immeuble et appuyer sur le bon bouton de l’ascenseur pour y accéder. On peut facilement passer à coté. Une bonne technique consiste à choisir et suivre un groupe à l’heure de la sortie des bureaux. Si votre intuition a été bonne, vous devriez arriver dans un izakaya et peut-être vous faire de nouveaux amis.

Pâte de haricots rouges : ma troisième réponse n’est toujours pas une spécialité culinaire mais un ingrédient. Présent sous différentes formes dans la pâtisserie japonaise, j’adore la pâte de haricots rouges. Anpan, daifuku, dorayaki, taiyaki, yokan, zenzai, etc. Autant de spécialités à tester ! Finalement ça fait plus de trois réponses !

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