Interview – Dominique Sylvain

Dominique Sylvain

Dominique Sylvain, née à Thionville en 1957. En 1993, elle s'installe à Tokyo et commence à écrire des romans policiers. Son premier roman « Baka ! » prend d'ailleurs pour cadre la capitale nippone. En 2004, naît le duo d'Ingrid Diesel et Lola Jost. Les romans mettant en scène ce duo donneront naissance à la série « Passage du désir » sur France 2 avec Muriel Robin et Anne Le Nen. Traduite à travers le monde en anglais, espagnol et italien, Dominique Sylvain est la « nouvelle figure de proue du polar français » selon François Busnel. Son dernier roman, "L'Archange du chaos".

Quelle vision avais-tu du Japon avant de t’y rendre pour le première fois ?

Une vision esthétique alimentée par la production culturelle japonaise. J’aimais les films d’Ozu et de Kurozawa mais aussi des œuvres plus contemporaines comme celles de Beat Takeshi. J’avais lu Kawabata, Mishima, Soseki mais également Seicho Mastumoto qui m’avait émue avec ses polars ferroviaires lents et prenants. Et il y a eu Akira, l’anime adapté du manga. Un choc. Une fascination immédiate. Cette histoire de gamins mutants dans un Japon apocalyptique m’a vraiment subjuguée. Cet anime m’a donné envie de découvrir ce Tokyo que j’imaginais à la fois très traditionnel et très futuriste.

Et j’appréciais aussi énormément la cuisine japonaise. Mais ne connaissais que les restaurants de la rue Saint-Anne à Paris.

En 1993, tu t’installes à Tokyo. Comment t’es-tu préparée ?

Je n’ai pas eu trop le temps de me préparer avant le départ parce que je travaillais et devais aussi m’occuper de mes enfants qui étaient très petits à l’époque. Je me souviens que j’avais pris des cours de japonais à l’Espace Japon à Paris. En fait, j’avais envie de débarquer là-bas sans trop me préparer, et me laisser séduire par l’ambiance une fois sur place. A cette époque, je n’étais guère prévoyante. Ce pays m’attirait beaucoup et me faisait rêver. Je savais que ce serait étonnant.

Quel fut ton premier choc en arrivant sur le sol nippon ?

ds2-182x300Les signes, magnifiques et incompréhensibles, partout. Le fait que Tokyo soit très différente de nos superbes villes-musées européennes. C’est une mégalopole chaotique, un peu moche mais d’une laideur passionnante, et qui, la nuit venue, se transforme en une entité irrésistible de beauté. Les milliers de néons sculptent le paysage urbain et ça devient magique. J’ai compris d’où venait l’inspiration de Ridley Scott pour Blade Runner.

Et puis, j’aime le côté bordélique, organique de Tokyo. Nos cités sont tracées au cordeau. Au Japon, tu te déplaces à la fois à l’instinct, mais aussi avec une carte solide. On ne se repère pas grâce à la progression des numéros des rues (c’est bien plus compliqué que ça) mais grâce à des points précis (bâtiment, magasin, etc.). On se perd en beauté. Il n’y a pas de plans d’urbanisme rigoureux, de limitations et protections multiples comme chez nous. Résultat, un temple minuscule survit entre deux gigantesques immeubles. Et ces contrastes constants créent une esthétique.

Mais des chocs et des surprises, il y en a eu des tonnes…

Quels conseils donnerais-tu à celles et ceux qui préparent un voyage au Japon ?

D’apprendre le japonais basique. Très peu de Japonais parlent anglais. Il faut s’accrocher. Et une fois sur place, mieux vaut garder l’esprit ouvert. Et se fondre dans l’ambiance. Discrétion et patience.

Peux-tu nous raconter l’expérience la plus drôle que tu as vécue au Japon ?

Ma première visite au supermarché avec mes deux enfants. Le petit dans sa poussette et le plus grand, un hyperactif, qui courait partout. Et moi, qui étais incapable de lire les étiquettes et de savoir ce que j’achetais. Il y a eu aussi cette fois où j’ai voulu acheter un vélo et ai demandé au vendeur (en japonais) s’il pouvait me vendre une locomotive. Son visage est resté absolument impassible mais son œil riait. J’ai réussi à rentrer chez moi en vélo.

Tu écris ton premier roman policier au Japon. Peux-tu nous en parler ?

Mon arrivée à Tokyo était l’électrochoc que j’attendais. Avant, je cherchais un sujet. Une fois sur place, j’ai eu le satori. J’ai su qu’il fallait que je raconte l’histoire d’une fille qui débarquait au Japon sans maîtriser la langue et les codes. Le roman ne pouvait que s’appeler Baka !. Idiot ou idiote en japonais. J’étais une idiote mais une idiote heureuse. J’écrivais mon premier roman et je vivais mon premier roman au quotidien. C’était génial. Mais très difficile. D’ailleurs, j’ai réécrit ce roman deux fois car Tokyo n’a jamais voulu se laisser capturer.

Dans ta bibliographie, on trouve un bouquin différent de ceux que tu as l’habitude d’écrire, « Régals du Japon et d’ailleurs ». De quoi parle-t-il ?

De mes plaisirs et déplaisirs culinaires avec un accent particulier mis sur le Japon. Je raconte notamment cette rue pleine de lanternes et de restaurants que je remontais régulièrement en revenant de mon club de sport. Il y avait des odeurs et des ambiances délicieuses. Une ambiance très éloignée de Lost in translation. Un Japon doux et chaleureux. Une vie de quartier. Des odeurs, des couleurs, des sons réconfortants.

Quels sont, pour toi, les incontournables lors d’une visite au Japon ?

Tokyo, Kyoto. La péninsule d’Izu est très belle. Et il faut absolument découvrir les onsen. Les bains chauds. Souvent alimentés par des sources volcaniques naturelles. Une expérience incomparable. Et j’aime la façon dont la pluie tombe au Japon. C’est extrêmement poétique. Et sensuel.

Quel est le plus gros défaut des japonais pour un occidental ?

Ils sont têtus comme des bœufs de Kobe. Impossible de les faire changer d’avis surtout s’il s’agit de vouloir bouger les règles. Au Japon, la règle est sacrée, tout comme la verticalité dans les rapports sociaux.

Le Japon reviendra-t-il un jour dans tes romans ?

Oui, c’est déjà fait. Mon prochain roman, Kabukicho, en référence au Pigalle de Tokyo, sortira en octobre 2015. Il racontera la vie de professionnels du mensonge.

Photo bandeau : © Antoine-Rozès

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