Interview – Sébastien Raizer
Sébastien Raizer
Sébastien Raizer est tour à tour éditeur rock pour Camion Blanc dont il est l'un des fondateurs, traducteur du Hagakure et auteur de romans noirs. "L'Alignement des équinoxes" sort dans la préstigieuse Série noire en 2015. Il vit à Kyôto.Quelle a été le déclencheur de ta passion pour le pays du soleil levant ?
En général, la passion aveugle et j’ai plus l’impression d’être arrivé au Japon les yeux grands ouverts.
Je parlerais plutôt d’une attraction singulière qui a commencé quand j’étais adolescent, avec le karaté et la littérature. J’ai découvert Mishima dans une revue de karaté justement, un article sur le kendō où il parlait du bunburyodō, « la double voie de l’art et de la guerre », ou « de la plume et du sabre » selon les traductions.
Ensuite, j’ai découvert d’autres auteurs, des films, des personnages historiques comme Takamori Saigō, qui se trouve être l’arrière-arrière-grand-père de ma femme et qui a inspiré le film Le dernier samouraï – c’est d’ailleurs son surnom, au Japon. Et l’histoire des 47 rōnin, celle de la révolte des officiers en février 1936, le chantage des « bateaux noirs » du commodore Perry en 1854, le shogunat et l’ère Meiji, l’histoire du Japon et sa mythologie.
Lorsque j’ai découvert le Hagakure, un ouvrage consacré à la spiritualité des samouraïs, que j’ai fini par traduire en français, je crois que cette attraction a commencé à prendre une forme plus concrète.
A-t-il été facile de t’installer au Japon ?
Oui. C’était une telle évidence que les questions administratives étaient un plaisir – sans rire. J’étais allé à plusieurs reprises en Asie du Sud-Est, je m’étais familiarisé avec la Thaïlande, le Laos, le Cambodge, mais je n’étais jamais allé en Extrême-Orient. J’envisageais de passer quelques mois par an à Bangkok ou Chiang-Mai. Lorsque j’ai rendu le manuscrit de L’alignement des équinoxes à Aurélien Masson, le Godfather de la Série Noire, j’ai compris que c’était le moment d’aller au Japon. Je suis retourné en Asie, puis je suis allé en Corée, et enfin à Kyōto. Dès le premier jour, j’ai compris que je ne repartirai plus.
Quelle est ta vie depuis que tu habites Kyoto ?
Le Japon s’est coupé du reste du monde pendant 8 siècles, et ça se sent encore. D’ailleurs, le Japon n’est pas un autre pays, c’est une autre planète. Il y a une singularité énorme, construite sur des concepts radicalement différents de ceux qui gouvernent la vie occidentale. C’est à la fois une découverte sans cesse renouvelée et un plaisir de vivre en immersion complète dans ce pays. C’est aussi déroutant, parfois. Mais j’étudie tous les jours le japonais, car la compréhension du pays est fortement corrélée à celle de la langue.
Peux-tu nous raconter l’expérience la plus drôle que tu as vécue au Japon ?
Ah, je ne sais pas si c’est drôle, mais c’est surprenant. C’était l’an dernier, à l’agence de voyage pour prendre nos billets pour Paris. Deux mois plus tard, j’y retourne parce que je n’étais pas sûr d’avoir commandé un repas végétarien. L’employée vérifie toutes les infos, me demande de patienter et s’en va. Trente secondes plus tard, elle revient avec un trombone et le pose devant moi : « Vous l’avez oublié quand vous êtes venu payer. » C’était deux mois plus tôt et effectivement, il m’avait servi à attacher les billets de 10 000 yen. Ils avaient gardé un trombone tout ce temps. J’ai regardé ma femme et je ne savais pas si je devais en rire. Mais l’attitude de l’employée confirmait que c’était très sérieux.
Quels conseils donnerais-tu à celles et ceux qui préparent un voyage au Japon ?
Apprendre quelques mots de japonais. Quelques expressions de base, le nom de quelques plats, les formules de politesse, savoir demander son chemin éventuellement. Préparer son itinéraire – il y a tellement de choses superbes à voir, autant essayer de le décider à l’avance. Mais aussi faire tout le contraire : se laisser porter par le cours des évènements. Chercher à se loger dans des machiya (maisons traditionnelles), il y a en pas mal sur RBnB. Le Japon est éminemment contrasté. Passer quelques jours dans la démesure de Tokyo, mais ne pas hésiter à faire des incursions dans la campagne. J’ai eu la chance de visiter plusieurs villes, grandes et petites, mais le souvenir le plus marquant est Hiroshima, pour plein de raisons.
Je ne dévoile pas un secret en disant que tu es tatoué. Comment vis-tu la discrimination des japonais envers le tatouage ?
J’ai un tatoueur à Kyōto maintenant – c’est une histoire sans fin. Il doit enregistrer ma carte de résident et photographier chaque tatouage qu’il fait. Bon, c’est l’apanage des membres de la mafia, même si les frontières ont tendance à se dissoudre. Il ne s’agit pas vraiment de discrimination, puisque c’est un art traditionnel. Plutôt de classification. Les tatoueurs créent des œuvres d’art, vraiment. Ils sont en avance sur l’Occident, tant au niveau du matériel que de la réalisation. Parfois, lorsque je vais courir, des Japonais reconnaissent mes tatouages de Dōgen ou d’Ōta Dōkan. Ça ne pose pas de problème, sauf lorsque je me balade dans le quartier chaud de Gion, tenu par la Yakusa. Si je suis avec un Japonais, ça passe. Si je suis tout seul, ça grince un peu. Les Yaks signent pour un destin de « kichigai » (« esprit différent ») en se faisant tatouer, ils ne prennent pas ça à la légère…
Peux-tu nous donner ton top 3 des spécialités culinaires japonaises ?
Ah, le natto en number one ! Je suis incapable de manger ça… Du soja fermenté, qu’il faut fouetter avec les baguettes pour produire une espèce de bave collante et fortement odorante. Ceci dit, c’est délicieux en beignets. Le tofu, une vraie découverte, à l’opposé des blocs de carton que l’on trouve en France. Une palette de saveurs complètement délirante. Le genmai, du riz sauvage. En tant que végétarien, j’ai découvert les racines de lotus, le daikon (un énorme radis), et toute une variété d’algues, d’épices. Il y a aussi une racine qui s’appelle « gobō », excellente. La nourriture est d’une qualité surprenante, en général.
Qu’y a-t-il du Japon dans ton roman L’Alignement des équinoxes paru à la Série Noire ?
Karen, l’une des héroïnes du livre, a décidé de vivre selon les préceptes des samouraïs et s’est choisi comme maître Musashi Miyamoto (qui est entre autre l’auteur du fameux Traité des cinq roues). Je suis allé visiter le sanctuaire shintō qui lui est dédié, le jour de mon arrivée à Kyōto. Certains lieux possèdent une force terrible. Le Japon pulse d’une force spirituelle, c’en est tellurique, vraiment. J’ai beaucoup voyagé mais je n’avais ressenti ça nulle part. Je crois qu’on peut le rapporter à la citation de Mishima qui ouvre la première partie des Équinoxes : « La pureté parfaite peut être atteinte en faisant de sa vie le vers d’un poème écrit d’un trait de sang. »
Un de tes prochains pourra-t-il se passer au Japon ?
Oui, tout à fait. C’est d’ailleurs un projet très concret. Ce qui me fascine, entre autre, c’est la façon dont le pays vit avec son histoire et ses mythes. Il existe une zone de confusion délibérée et passionnante. Tu sais, entre la déesse du soleil Amaterasu qui a créé le Japon et qui est la mère de la lignée d’empereurs de -660 à aujourd’hui, le Kojiki, les Notes de chevet, les héros légendaires, les mythes fondateurs et la politique actuelle fusionnent, certains historiens ont des lectures très différentes, mais on retrouve toujours un esprit singulier, quelque chose qui mêle la violence et la poésie dans le creuset de la beauté et du raffinement.
Vidéo
Sébastien Raizer – L’alignement des équinoxes
Interview de la librairie Mollat
Photo : (c) C Hélie Gallimard